ZERO MANAGEMENT – 6 « Experts & Idiots »

ZERO MANAGEMENT – 6 « Experts & Idiots »

Certaines entreprises qui étaient florissantes il y a trente ans ont été remplacées ou au moins perturbées par leur équivalent numérique de la nouvelle économie. Nous avons tous des exemples en tête dans les télécoms, l'informatique, la banque, l'automobile ou la distribution. La différence essentielle entre les nouveaux venus et les anciens a été de savoir attirer les meilleurs experts et de les garder. Il s'agit de comprendre alors ce qu'est un expert et de disposer des attraits pour le faire postuler et le garder. 

 

Alors qu'un expert est "quelqu'un qui a fait toutes les erreurs possibles dans son domaine précis" (d'après la définition de Niels Bohr), un idiot est alors quelqu’un qui "croit qu'il est un expert".

 

Niels Bohr (c) WIkipedia

C'est fascinant comme, dans l'entreprise, les deux populations se mélangent et parfois les idiots prévalent, ce qui évidemment est nuisible à l’intérêt de l’entreprise. Cela crée d'ailleurs un effet de "brown out", de démotivation auprès des experts, ce qui au final engendre des effondrements d’entreprises qui étaient au sommet de leur créneau. Nous reviendrons sur ce point lors de notre prochain article (numéro 7) sur l'innovation.

 

Pour comprendre comment on devient un expert dans son domaine, cela revient à dire comment une personne a pu accumuler des compétences dans un métier précis. La plupart des études sur le sujet indiquent qu'il faut 10 ans ou 10.000 heures pour maîtriser un métier ou un sujet correspondant à un domaine.  Les anciens, comme Socrate, avaient déjà repéré ce phénomène: "Pour atteindre l'excellence il faut répéter les bonnes actions. L'excellence est un art que l'on atteint par l'exercice constant. Nous sommes ce que nous faisons de manière répétée. L'excellence n'est donc pas un action mais une habitude."

 

Mais que faut-il faire pendant ces 10 ans ? Si on refait la même chose on n'apprend rien. On apprend uniquement de ses erreurs, en ne les reproduisant pas. Cela nous amène à une réflexion simple qui s'applique à l'entreprise: Si personne ne nous dit que nous nous sommes trompés, nous pouvons persister indéfiniment dans l'erreur. C'est là où l'humain crée un réflexe que l'on appelle une "connaissance acquise". Elle peut être bonne ou mauvaise, mais plus elle se reproduit, plus elle devient profondément ancrée dans notre zone de réflexes.

 

Le modèle d'apprentissage d'un humain est alors clairement identifié: Dans un premier temps on est totalement ignorant du thème concerné. L'ego humain va prendre le relais et décider que nous sommes un expert, tout simplement parce que notre ego a envie de l'être. C'est la "phase des idiots". Il y en a de deux sortes: ceux qui sortent de leurs études et qui n'ont que des connaissances apprises mais non expérimentales: Il leur manque les dix ans de pratique. Et puis il y a ceux qui ont fait dix ans ou plus dans leur fonction, qui n'ont rien expérimenté, qui ne se sont jamais trompés et qui perpétuent ce qu'ils ont appris à l'école pendant toute leur carrière. Cette phase zéro de l'apprentissage correspond à "je ne sais pas que je ne sais rien". Elle a été clairement expliquée par Dunning et Kruger qui définissent ainsi le premier palier de l'apprentissage humain: Quand on aborde un domaine superficiellement au lieu de sa globalité et de sa complexité on ne voit pas à quel point on manque de connaissances sur le sujet. La conséquence est que l'on ne creuse pas plus le sujet, puisqu'on pense déjà le connaître. Les dogmes et les "pensées uniques" sont générées par ce niveau. La confiance en soi est totale, d'autant plus quand on se trouve à la tête d'un état ou d'une entreprise puissante:

 

 

Le déclenchement de l'apprentissage (et de tout progrès humain) est de se rendre compte que l'on ne connaît pas grand chose du domaine et que l'on souhaite approfondir le sujet avec humilité, en commençant par rectifier ce qui ne fonctionne pas. Toute la pensée et l'attitude scientifique sont parties de ce niveau 1: "Je me rends compte que je ne sais rien".

Les expériences sont alors une série d'échecs dont on apprend pour s'améliorer. Au bout de beaucoup d'expériences on atteint le niveau 2: "Je suis conscient de ce que je sais". Mais le summum, c'est de ne plus être conscient de son expertise: elle est devenue un réflexe, un instinct. "Je suis inconscient de ce que je sais". Voilà l'expert.

 

Le modèle de Kolb définit précisément le cheminement qui va conduire l'apprentissage:

 

 

Une expérience concrète va générer une observation analytique qui va dégager, créer, un nouveau concept. Ce nouveau concept va alors être testé ce qui va générer une nouvelle expérience et ainsi de suite. Ce système de "trial and error" va permettre de peu à peu apprendre et s'améliorer: GRCT, Gathering data, Reflection, Creating, Testing.

 

“I have not failed. I've just found 10,000 ways that won't work.”

― Thomas A. Edison

 

A quoi cela sert-il dans l'entreprise ou dans la société en général de comprendre ce phénomène ? C'est fondamental. En effet, un manager (ou un président d'un pays) qui croit tout savoir, entraîne son entité dans l’abîme (ou la montagne de l'ego) des idiots. A force de reproduire les mêmes schémas qui dysfonctionnent, l'entité se sclérose, décourage les meilleurs qui vont ailleurs, décourage les initiatives, l'amélioration continue et l'innovation. Au contraire, un manager qui est capable de douter et de se remettre en cause permet de déclencher des actions de vérification puis de rectification , ensuite d'analyse des cause racine et au final d'amélioration. 

 

 

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