ZERO MANAGEMENT – 7 « Innovation »

ZERO MANAGEMENT – 7 « Innovation »

(c) BPI France

Nous avons vu dans l'article précédent (6 – Experts & Idiots) que la vitalité d'une entreprise est liée à sa capacité à se remettre en question pour s'améliorer sans cesse. Certaines améliorations consistent à rendre un meilleur service ou à fournir un meilleur produit déjà existant et correspondant au métier de l'entreprise. Cependant, à chaque révolution économique (et donc sociétale) les entreprises et les peuples ont du s'adapter ou péricliter, voire disparaître.  Lorsque le concept de chemin de fer a démarré, les compagnies de diligences ont dû fermer (ou se reconvertir). Autrement dit à chaque innovation majeure dans un domaine, les acteurs principaux doivent se positionner. Récemment la voiture électrique, sous l'impulsion d'une nouvelle entreprise (Tesla), est en train de gagner face aux véhicules traditionnels à énergies fossiles. 

Certains humains sont réticents au changement (parmi eux les managers de telle ou telle entreprise) et essayent de bloquer ou de freiner l'innovation du domaine qui les concerne. Il s'agit souvent des humains et des entreprises qui sont dans une position dominante sur le segment. A contrario, les humains ou les entreprises qui sont porteuses de l'innovation essayent de persuader les utilisateurs ou les clients de leurs produits ou services, de leur intérêt. 

Autrement dit, les entreprises en place sont, par définition en train d'essayer de conserver la situation en l'état alors que des nouveaux venus dans le domaine vont tenter l'inverse. Au final c'est le client qui va décider: Lorsque Steve Jobs a innové avec l'iPhone, Nokia et tout l'establishment de la téléphonie ont dénié l'intérêt du produit. On voit aujourd'hui que la smartphone est devenu l'objet le plus utilisé et convoité sur la planète, y compris dans les pays très pauvres et démunis d'autres objets, pourtant de première nécessité. Apple a gagné et Nokia a perdu. 

En quoi a consisté cette innovation ? A la possibilité pour les humains d'utiliser des programmes de collaboration de groupe, les fameux réseaux sociaux. C'est la combinaison de ce "téléphone" et de la possibilité d'aller sur Facebook qui a été déterminante. Il fallait donc une "killer app" (une application "qui déchire") et un outil super simple d'utilisation. Le cahier des charges de Steve Jobs pour l'Iphone était: "pas de doc".  Zéro documentation ! "Si l'utilisateur doit lire une documentation de cinquante pages pour faire fonctionner son téléphone alors qu'il achète un Nokia…". L'expérience utilisateur (appelée aujourd'hui "UX – User eXperience") est essentielle dans toutes les innovations. "Keep It Simple Stupid": Fais le simple, idiot !

L'innovation UX-KISS est alors le seul moyen pour une entreprise de gagner (ou de se maintenir) dans son marché qu'elle soit dominante ou nouvellement arrivée. 

(c) medium.com

La grande révolution économique actuelle peut se résumer dans la phrase "Data is the new oil": Les données sont le nouveau pétrole. Les innovations d'aujourd'hui sont donc intimement liées à la capacité collaborative et décisionnelle autour des banques de données (datalakes). Des algorithmes auto-apprenants (aussi appelés Intelligences Artificielles), aident les décisionnaires à évaluer les options et prendre les bonnes décisions, quels que soient les domaines. Les experts (ceux de l'article précédent) sont ainsi "améliorés" en pouvant prendre des décisions encore plus éclairées, avec encore davantage de paramètres. 

La question est alors simple: Comment une entreprise ou un état qui domine une situation, va-t-elle pouvoir innover pour maintenir ou augmenter sa domination ? Pour les états c'est simple: Il faut identifier et encourager en les inondant d'argent, les entités capables d'innover. Ensuite, avec le jeu de l'élimination naturelle et des fusions-acquisitions, des géants vont naître, comme pour la révolution actuelle les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Ces entreprises, qui ont trente ans en moyenne, sont confrontées à leur tour à la révolution de l'intelligence artificielle. Elles sont à leur tour menacées, car dominantes par des nouvelles entreprises plus performantes dans ce domaine.

La mauvaise réponse à cette question de l'innovation est de décréter: "nous allons former un comité de l'innovation". Les réunions et les interviews des métiers vont déboucher sur un cahier des charges permettant la mise en chantier de la prochaine innovation. ". Vous vous souvenez que dans l'article précédent, les experts ne sont pas attirés ou ne restent pas dans les entreprises qui décident pour eux dans des systèmes hiérarchisés et démotivants qui refusent la notion d'essai et d'erreur: Par définition l'innovation nécessite beaucoup d'erreurs, beaucoup de tâtonnements. La notion de start'up est nettement plus adaptée au concept d'innovation, parce qu'elle permet de travailler en mode agile, dans lequel la communication verticale hiérarchique est remplacée par une communication horizontale de type "tribu". Les outils collaboratifs, comme nous avons vu dans les articles sur le zéro email, permettent de travailler de n'importe où avec des personnes situées n'importe où également à n'importe quelle heure, sur n'importe quel sujet.

Le processus d'innovation conduisant à un produit, et surtout à un service, attrayant est alors le suivant:

Etape 0: Idée de produit ou de service "disruptif", qui change quelque chose de manière nette sur un marché. Par exemple, la banque en ligne, au lieu de la banque avec des guichets.  Notez que la définition du business model doit amener un ou plusieurs avantages patents à l'utilisateur. Par exemple: la banque en ligne ne nécessite plus de se déplacer, elle s'utilise depuis un smartphone et coûte moins cher en frais bancaires. 

Etape 1: POC – Proof Of Concept: L'idée est démontrée par une maquette qui reproduit ce que le logiciel ou le service sera. Il suffit d'un seul exemplaire, comme par exemple pour une maison imprimée avec une imprimante à béton en 3D.

Etape 2: MVP – Minimum Viable Product: Le produit ou le service est commercialisé alors même qu'il n’est pas complètement terminé, mais que les fonctions de base sont disponibles. Pour la banque en ligne, on aura par exemple, la possibilité de consulter ses comptes et de faire un virement. La carte bancaire associée fonctionnera partout sans frais. Elle permettra également de prendre de l'argent au distributeur. 

Etape 3: Versionning – Une nouvelle version sort régulièrement qui enlève les bugs et qui apporte de nouvelle fonctionnalités. La banque en ligne propose des produits d'épargne, le financement de prêts, etc…

Etape 4: Exit Strategy – La startup est revendue (ou intégrée) à un grand groupe du domaine ou bien inversement rachète les "lambeaux" du grand groupe.

Aujourd'hui, une innovation ne peut pas se contenter de proposer un produit ou un service: il faut inventer un business model, une proposition de valeur. Par exemple, la société Tesla ne se contente pas de proposer des voitures ou des camions électriques; Elle propose d'équiper des flottes de taxis ou de transporteurs pour remplacer les chauffeurs par un système d'auto-pilot sans conducteur. L'équation économique pour un transporteur est simple. Devinez ce qui va se passer ? 

Dans tous les domaines, la même révolution technologique et cognitive est en cours: Dans le domaine de la santé on pourra grâce à des capteurs appropriés détecter, voire anticiper une défaillance physique d'une personne âgée ou malade, y compris à son domicile. Cette innovation de l'IoT (internet of Things) ou Internet des objets, est en train d'améliorer sensiblement l'UX de nombreux sportifs ou sédentaires qui veulent mieux contrôler leur poids ou leur sommeil.   

Le problème de management fondamental est le suivant: Comment innover alors que l'on est confortablement leader dans son domaine ? On ne peut pas: Lorsqu'un humain est dans une zone de confort, il ne cherche pas à améliorer les choses, donc à innover. De plus, une entreprise leader est souvent composée de dizaines de milliers de personnes, ce qui implique des processus écrits stricts, une hiérarchie définie et des systèmes de reporting centralisateurs. 

La réponse vient, peut-être, du "sixième GAFAM", la pays de l'innovation "reine": ISRAEL.  Bien que des entreprises énormes aient vu le jour en trente ans, notamment dans le domaine de la cybersécurité, comme Checkpoint, le pays a continué et continue à innover, à travers des milliers de startups, notamment dans le domaine de l'intelligence artificielle. C'est un pays en guerre depuis sa création en 1948. Les attentats étaient fréquents et la population est constamment sur le qui vive, tout en profitant du climat agréable et d'un niveau économique et d'un mode de vie semblable à un pays occidental.

Cet environnement incertain a développé un sentiment d'urgence au sein de la population qui a favorisé l'éclosion de l'innovation: "Aucun projet ne peut se concevoir sur une durée de dix ou même cinq ans; Qui sait ce qu'il sera advenu d'ici là."  En résumé, pour innover il faut être dans l'urgence. Urgence économique lorsqu'on est pauvre. Urgence temporelle lorsque l'avenir est incertain. 

C'est exactement l'inverse d'une entreprise leader ou d'un état prospère: Pourquoi innover puisque nous sommes déjà riches et que nous somme leaders ?

Certains managers ont probablement trouvé la réponse. Font-il exprès ? A vous de juger. Elon Musk, met une pression sur l'ensemble de l'entreprise, qu'elle soit Tesla ou SpaceX en disant à qui veut l'entendre que la banqueroute est proche. Il fixe des objectifs quasiment infaisables, comme de sortir 50000 voitures par mois des chaines de production ou d'envoyer un homme dans la lune d'ici 5 ans. Il annonce un auto-pilot niveau 5 sur ces voitures d'ici la fin de l'année (2019) ce qui veut dire que la voiture va automatiquement d'un point A à un point B sans aucun conducteur… Tout ceci avec des Tweets. Cela crée une tension et une précarité dans toutes ses équipes. Cela oblige tout le monde à se "sortir les tripes" et au final, il réussit encore et toujours à innover: L'hyperloop, les tuiles solaires, les fusées réutilisables qui reviennent se poser sur une barge etc. Et pendant ce temps là quelles ont été les innovations de la NASA ou d'Ariane Espace ? Ce sont les mêmes fusées (en plus gros) que les V2 de Von Braun d'il y a 70 ans…   Il y a Netflix sur l'écran 17 pouces des Tesla; et dans les Peugeot ? Ah oui il y a la radio…

Elon Musk (c) Forbes

Je pense que l'innovation ne peut être menée que dans des petites entités dédiées, indépendantes et passionnées qui sont motivées par leur précarité financière et temporelle.  Elle peut être créée par des managers hors du commun au sein d’entités plus importantes, à condition de leur insuffler cette précarité et ce sentiment d'urgence.

 

 

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